Spécialité de l'article : Gynécologie
Parution du 09/05/2014 pour la lettre n° 71
Entretien avec le Dr Jean-Lionel Bagot
Médecin homéopathe, diplômé de carcinologie clinique il est spécialisé dans les soins d'accompagnement en cancérologie. En 2006, il crée la première consultation de soins de support dans un service hospitalier de sénologie. Maître de stage des universités, chargé de cours à la faculté de pharmacie, il est également responsable du Diplôme Universitaire d’homéopathie de Strasbourg. Il exerce au centre anti-cancéreux de Strasbourg Oncologie Libérale (clinique Sainte-Anne), dans un service de soins palliatifs (clinique de la Toussaint) et en cabinet privé.
Cancer et Homéopathie ne sont-ils pas deux mots incompatibles ?
Tout dépend de la place que l’on donne à l’homéopathie en cancérologie... Ce n’est surtout pas un traitement du cancer ! Par contre dans le cadre des soins d’accompagnement l’homéopathie a toute sa place pour améliorer l’état général des patientes et diminuer les effets secondaires des traitements.
Comment cela a-t-il commencé ?
Sous l’impulsion du premier Plan Cancer (2003-2007), les soins de support se sont développés un peu partout en France, pour « assurer un accompagnement global de la personne, au-delà des protocoles techniques, par le développement des soins complémentaires ». C’est à ce moment-là que le Pr Jean-Philippe Brettes me proposa d’intégrer son service de gynécologie des Hôpitaux universitaires de Strasbourg pour y créer une consultation d’homéopathie à l’intention des femmes atteintes d’un cancer du sein.
L’homéopathie est-elle une médecine alternative ?
Non, il n’y a pas de médecine alternative ou parallèle en cancérologie mais seulement complémentaire. Les traitements homéopathiques sont à prendre en plus des traitements habituels et non à leur place.
Combien de personnes utilisent-elles l’homéopathie en cancérologie ?
La plupart des études françaises montrent des chiffres en progression régulière. La dernière en date, effectuée en 2010 à Paris, indique qu’un patient sur cinq prend de l’homéopathie pendant la chimiothérapie. Cela représente 600 000 personnes en France.
Et dans le cancer du sein ?
Les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à venir consulter. L’étude que nous avions réalisée à Strasbourg en 2005 a confirmé cette impression. Elles ont autant le souci de conserver une apparence digne et agréable que le besoin de trouver du soutien dans cette épreuve. C’est ainsi qu’au Canada, 82 % des patientes atteintes de cancer du sein ont recours aux médecines complémentaires ! Sur les 4000 consultations de soins de support que j’effectue chaque année, les patientes atteintes de cancer du sein représentent à elles seules plus de la moitié des cas.
Pourquoi cette attirance vers l’homéopathie ?
Les patientes font de cette démarche un choix et une prise de décision positive contre leur maladie. Lors du diagnostic de leur cancer du sein, la plupart d’entre-elles ne souffrent de rien. Or, c’est en commençant les explorations et les traitements qu’elles changent de statut pour devenir « malades ». Elles vont alors davantage souffrir de leurs traitements que de la maladie à proprement parler. Cela peut paraître paradoxal, pourtant la nécessité des différents traitements n’est plus à prouver puisqu’ils permettent de guérir près de trois quarts des patientes. Cela mérite d’autant plus un traitement de support efficace ! Une prise en charge homéopathique de qualité, saura apporter le soutien nécessaire à la traversée de cette épreuve.
Comment les patientes décident-elles de venir consulter ?
Les femmes parlent entre elles, se soutiennent les unes les autres et partagent volontiers conseils et bonnes adresses. Le personnel paramédical a aussi à cœur de mettre tous les atouts de leur côté. C’est pourquoi, dans ma pratique, j’ai observé qu’il s’agit souvent d’un conseil provenant de différentes personnes à la fois qui conduit les patientes à prendre rendez-vous.
Pourquoi travaillez-vous dans un centre anticancéreux ?
Ma présence sur les lieux même du traitement me permet un accès au dossier médical complet, ce qui est ressenti très positivement par les patientes, très sensibles à ce travail d’équipe et à la transparence des soins. Cela évite également des déplacements inutiles, source de fatigue et de perte de temps. Enfin cela me permet un dialogue régulier avec les oncologues.
Qu’en pensent les autres médecins ?
L’aval de l’oncologue et une attitude favorable du médecin traitant sont essentiels pour l’instauration d’une relation de confiance avec la patiente, pour la déculpabiliser le cas échéant et ainsi renforcer sa démarche. Il me parait important que «…les patients qui le souhaitent puissent être acteurs de leur combat contre la maladie » (mesure 39 du Plan Cancer). En la confirmant dans ses choix, on permet à la patiente de faire apparaître et de développer son « self empowerment » c'est-à-dire sa capacité à exercer un contrôle sur sa maladie et ses traitements.
Faut-il être une habituée de l’homéopathie ?
Non. Plus de la moitié des patientes qui viennent me voir n’ont en encore jamais pris ! Je leur explique qu’il s’agit d’un traitement complémentaire, sans effets secondaires, sans interaction médicamenteuse avec les autres traitements du cancer et qui sont, en France, remboursés par la sécurité sociale. Il s’agit d’une chance supplémentaire d’améliorer leur qualité de vie.
Comment se passe la première consultation ?
Lors de la première entrevue, j’attache beaucoup d’importance à l’anamnèse médicale, appelée encore « histoire de la maladie ». Si elle est nécessaire à la consultation, elle ouvre aussi la possibilité à la patiente de raconter son histoire, de la récapituler, de la remémorer. Ce récit mélangeant aux considérations médicales le vécu intime de la patiente est le fondement de la relation thérapeutique et le début d’une appropriation psychique de la maladie pour la patiente. La recherche de la cause, voire de la « faute » ayant déclenché le cancer plane souvent sur la consultation. L’espace de parole ainsi offert ouvre la possibilité de trouver du sens à la maladie, de se l’approprier pour mieux l’apprivoiser et la combattre.
La consultation se poursuit ensuite par un examen clinique, l’étude des examens complémentaires et une prescription de médicament comme pour toute autre consultation médicale.
Quels sont les premiers mots prononcés par la femme ?
« J’ai une chimiothérapie », est la phrase introductive la plus souvent prononcée. Cela renvoie à des symptômes physiques et palpables comme les nausées ou la chute des cheveux. Cependant, on peut se demander si cela ne vient pas occulter dans les premiers moments de la consultation l’inexprimable de l’angoisse de la maladie et de la mort.
« J’ai un cancer du sein », est l’autre façon de se présenter. On remarquera que la patiente ne dit jamais « je suis cancéreuse ». Cela témoigne d’une représentation extérieure à soi du cancer et du souhait inconscient de se tenir à distance de la maladie dans un premier temps.
Que pensez-vous de l’impact de cette maladie sur la vie du couple ?
Les femmes sont atteintes de plus en plus jeunes du cancer du sein et les couples ne sont pas préparés à une telle situation. L’irruption brutale de la maladie provoque un véritable séisme. « Eros » et « Thanatos » s‘entrechoquent. Parfois un mari peut craquer voire quitter le foyer conjugal, cependant, la plupart d’entre eux soutiennent admirablement bien leur épouse et viennent avec elle en consultation. Certains gestes de tendresse et d’affection sont alors bouleversants. L’homéopathie permet au conjoint de s’impliquer dans les traitements en préparant les médicaments et en les donnant à son épouse. Quant à la question de la sexualité, elle ne doit pas être taboue. Il faut l’aborder librement avec le couple en permettant à chacun de s’exprimer sur ses craintes et ses difficultés et proposer une prise en charge psycho-comportementale si nécessaire
Quelles sont vos relations avec les oncologues ?
Nos rapports sont bons ce qui permet aux patientes de se sentir prises en charge par une équipe. J’essaye toujours d’avoir un discours positif et explicatif sur la nature des traitements en cours et la qualité des médecins qui les mettent en œuvre afin d’améliorer la relation thérapeutique de la patiente avec l’ensemble de ses soignants. La patiente ne doit pas se sentir ballottée entre l’homéopathe qui possède l’avantage d’avoir été « choisi » et de pratiquer des médecines « douces » et l’oncologue qui serait a contrario le tenant d’une médecine « dure ». Elle doit se sentir accueillie dans une dynamique d’équipe pluridisciplinaire au service de sa santé.
N’ont-ils pas quand même quelques réticences ?
Ils ont deux inquiétudes prioritaires : le risque d’interaction médicamenteuse et le risque d’abandon des traitements conventionnels. Sur ces deux points, je peux les rassurer pleinement puisque l’homéopathie ne présente aucun effet secondaire ni aucune interaction médicamenteuse. En 2000 une méta-analyse a conclu que « les médicaments homéopathiques en hautes dilutions, prescrits par des professionnels formés, sont probablement sans danger et peu susceptibles de provoquer des réactions indésirables graves ». Plus récemment, lors du congrès Eurocancer de 2010, l’homéopathie a été classée dans les médecines complémentaires « sans effet délétères retrouvés ». En France aucun médicament homéopathique n’a fait l’objet d’un retrait en raison d’un effet secondaire ou d’un effet toxique retrouvé.
Par ailleurs, de nombreuses études ont montré que les patients utilisateurs de médecine complémentaire n’abandonnaient pas les traitements. Dans ma pratique j’ai pu vérifier que l’observance de la prise des traitements était même améliorée grâce à la diminution des effets secondaires.
Alors quels seraient les risques ?
En cancérologie, comme dans toute autre pathologie importante, il faut toujours garder à l’esprit la notion de « perte de chance ». Le traitement homéopathique ne devra jamais remplacer un traitement qui a fait la preuve de son efficacité quand le pronostic vital est en jeu.
Existe-t-il des oncologues homéopathes ?
Oui, j’en connais trois formés en homéopathie. Outre la possibilité de prendre en charge des effets secondaires jusqu’ici inaccessibles par les traitements habituels, ils ont observé une modification de leur pratique en particulier dans leur écoute et dans la prise en charge globale des patientes. Ils m’ont partagé que l’écoute homéopathique des symptômes que « verbalise » la malade leur apporte un autre regard sur la médecine, une meilleure relation thérapeutique et un souffle nouveau dans leur difficile exercice.
Comment gérez-vous les cas difficiles ?
Nous avons créé depuis plusieurs années une réunion mensuelle de concertation pluridisciplinaire (RCP) de soins de support à laquelle participent les oncologues et les différents acteurs des soins d’accompagnement. Sont discutées les différentes options thérapeutiques que l’on peut proposer aux patientes en bout de ressource physique ou psychique face aux traitements en cours. C’est aussi le lieu où nous tentons d’établir des propositions aux personnes en refus de soin ou en déni de la maladie.
Qu’est-ce que le déni de la maladie ?
Certaines patientes se présentent à notre consultation bien trop tard, ne voulant ou ne pouvant pas voir leur cancer. Elles laissent évoluer des tumeurs du sein pourtant évidentes. Il faudra savoir reconnaître cette patiente l’accompagner avec douceur et compassion vers la reconnaissance et ultérieurement l’acceptation de sa maladie et des traitements.
Quelles sont les indications principales de l’homéopathie dans le cancer du sein ?
Elle a sa place à tous les moments de la maladie, de l’annonce à la guérison, à chaque étape des traitements. Au début, le traitement homéopathique viendra soutenir le psychisme pour faire face au traumatisme du diagnostic. Au moment de la biopsie on cherchera à prévenir un hématome, au décours de la chirurgie à favoriser la cicatrisation et mieux tolérer l’anesthésie générale, pendant la radiothérapie à prévenir les rougeurs cutanées, durant l’hormonothérapie à lutter contre les bouffées de chaleur et les douleurs articulaires. Mais c’est surtout lors de la chimiothérapie qu’elle trouve toute sa place, que ce soit pour lutter contre les nausées, les céphalées et la fatigue du protocole FEC, les troubles des ongles et de la peau, les douleurs musculaires et la baisse de la formule sanguine liées au Taxotère®, les fourmillements des extrémités du Taxol®, les fissures des doigts avec le Xeloda®, ou encore soutenir la fonction cardiaque pendant l’Herceptin®.
Quelques exemples pratiques ?
Arnica 30 CH est sans conteste le médicament le plus souvent utilisé pour traiter les « bleus de l’âme » comme ceux du corps.
Nux vomica 7 CH est le plus utilisé pour combattre les nausées persistantes malgré l’utilisation des anti-vomitifs de dernière génération.
Colchicum 15 CH est particulièrement indiqué pour les nausées provoquées par la moindre odeur désagréable (cuisine, parfum…).
Antimonium crudum 7 CH protège les ongles et les douleurs du bout des doigts.
Meduloss 4 CH permet de soutenir la formule sanguine.
Radium bromatum 9 CH est utilisé pour mieux supporter les rayons
Rhus toxicodendron 15 CH permet de soulager les douleurs articulaires de l’hormonothérapie.
Sepia 15 CH est indiqué dans les bouffées de chaleur et la baisse de moral.
Crotalus 7 CH aide à stimuler la production des plaquettes sanguines.
Quels sont vos projets ?
J’aimerai pouvoir créer un centre de médecine intégrative en cancérologie comme cela existe déjà dans d’autres pays. J’aimerai également développer davantage l’accompagnement de l’après cancer et le retour dans la vie active.
Et pour conclure ?
Je suis convaincu que la complémentarité de l’allopathie et de l’homéopathie ouvre un champ nouveau en cancérologie. Bien comprise et bien utilisée, l’homéopathie permet à la patiente de vivre au mieux les différents temps thérapeutiques du cancer du sein. Par son efficacité, l’absence d’effets secondaires et d’interaction médicamenteuse avec les traitements du cancer ainsi que son faible coût, elle représente un soutien de choix en cancérologie. Quant à la collaboration du médecin homéopathe et de l’oncologue, au service du malade, elle préfigure la médecine intégrative de demain.