Spécialité de l'article : Vétérinaire
Parution du 12/12/2015 pour la lettre n° 77
HOMEOPATHIE VETERINAIRE
L'évolution de l'élevage moderne rend l'observation de l'animal, et de son individualité parfois, difficile.
Les animaux ne parlant pas, nous avons, comme les pédiatres un intermédiaire avec le malade. Et nous devons utiliser tous nos sens pour l'observation.
Les outils homéopathiques sont « humains » : Nous savons que pour soigner nos animaux avec l'homéopathie, nous utilisons des répertoires, des matières médicales, qui ont été construits à partir d'expérimentations menées par des humains. Les symptômes rapportés par ces hommes et femmes sont retranscris avec leurs mots, leurs souffrances, leurs émotions, etc... L'utilisation de cette « matière expérimentale » pose donc un double problème de taille : d'une part, le risque évident de l'interprétation, l'anthropomorphisme appliqué comme une règle, et d'autre part son corollaire : l'acceptation de l'idée que les animaux auraient des émotions, des sentiments. Ces animaux auraient des stratégies de réussite, de combat. Ils auraient des peurs ? Ils souffriraient ? En somme il existerait une forme d'intelligence animale, mais quelles en sont les limites ?
L’empreinte de la pensée cartésienne sur nos sociétés, et sa conception de « l’animal machine » ont imposé l’idée selon laquelle : sans langage verbal, nulle pensée ne peut être produite. Le miroir de « je pense donc je suis », devenait : je ne parle pas, donc je ne pense pas, donc je ne suis pas dans le monde.
Cette idée a perduré en grande partie, jusqu’au 20ème siècle. Le développement industriel et la nécessité d’une production agricole intensive pour nourrir la population au sortir de la guerre, ne pouvaient s’encombrer de « sensibleries », et l’élevage industriel s’imposa comme une solution. L’animal passant du statut de machine à celui d’objet.
Aujourd’hui, les découvertes dans le domaine du comportement animal sont telles que ces conceptions ne sont plus supportables pour bon nombre de nos contemporains. Explorons rapidement ce que nous savons aujourd’hui de l’intelligence animale à travers 3 concepts : la reconnaissance individuelle et la conscience de soi, la reconnaissance sociale, et enfin la capacité animale à l’empathie, à l’attachement, voire à l’amour.
Un animal sait-il ce qu’il est ? Comment un chien de 2 kg reconnait-il un autre chien de 80 kg, comme étant un congénère, un « autre moi », avec lequel il est possible d’échanger ? Cette reconnaissance se fonde sur des signaux visuels (caractéristiques morphologiques : formes corporelles, robes ; anatomie sociale : positions, ports de tête, de la queue, mimiques faciales ; mouvements expressifs ritualisés : cinétiques de déplacement, mictions, pilo-érection…). Et sur des signaux olfactifs et chimiques : l'odorat du chien et du chat sont particulièrement performants, étaler la muqueuse nasale interne d'un homme et celle d'un chien, vous aurez à peu près le rapport de surface d'un timbre-poste et d'un terrain de football ! Cet odorat très développé va permettre l'établissement entre 2 individus d'une « conversation de phéromones » : ces phéromones (du grec pherein : transporter) sont des substances chimiques émises à l’extérieur du corps par un individu qui, lorsqu'elles sont reçues par un animal de la même espèce déclenchent une ou plusieurs réactions spécifiques ; l'émission de ces signaux lors d'une rencontre entre 2 chiens revient à une présentation de ses papiers pour nous !
La reconnaissance sociale : les relations sociales, selon les espèces, s'établissent selon des notions de dominances, de hiérarchies, fixes ou mouvantes, parfois territoriales. Mais des éthologues ont observé des comportements qui vont bien au-delà. Dans des groupes importants de chiennes, ou de dauphins, ils ont observé que les femelles qui s'occupent des petits, « s'arrangent » pour que leur propre progéniture joue préférentiellement avec les petits des dominants du groupe. En gros, elles préfèrent que Jean-Louis aille jouer avec Sixtine, la fille du directeur, plutôt qu'avec Kevina, celle de la concierge ! Ces chercheurs ont considéré qu’il s’agissait là de stratégies de réussite sociale...
L'empathie, l'attachement, l'amour existent-ils chez les animaux ? Outre les expériences personnelles de chacun avec nos propres animaux, une variante de l’expérience de Milgram réalisée dans les années 70 est particulièrement édifiante à ce sujet. Cette expérience mettait en scène 15 macaques rhésus à qui on avait appris à obtenir leur nourriture en actionnant un bouton. Dans un deuxième temps, un 16ième singe était présenté dans une cage, et celui-ci recevait une décharge électrique quand les premiers actionnaient leur bouton pour se nourrir. Sur les 15 singes : 3 n'ont rien changé à leurs habitudes, 10 ont réduit leur prise de nourriture au minimum vital, les 2 derniers se laissèrent mourir de faim.
Quand l'observation s'est enfin exercée hors des laboratoires, les chercheurs ont réellement découvert la complexité des comportements animaux. Lorentz allait observer ses oies, Von Frish découvrir la danse des abeilles, Timbergen allait développer des leurres pour observer la vie sociale des oiseaux. Et tous trois recevront le prix Nobel pour leurs travaux.
Aujourd'hui, nous sommes enfin passé de l'animal-objet à l'animal-sujet, et certains chercheurs comme Frans de Waal vont même plus loin en acceptant l'anthropomorphisme, non plus comme un danger pour l'observation, mais comme un outil nécessaire : « La proximité des animaux donne envie de les comprendre, pas seulement en partie, mais en totalité. Elle nous amène à nous demander ce qui se passe dans leur tête, tout en réalisant bien que la réponse ne peut être qu'approximative. Pour cela nous utilisons tous les outils à disposition, y compris l'extrapolation à partir du comportement humain. L'anthropomorphisme est donc non seulement inévitable, il représente un outil puissant. »
En homéopathie vétérinaire, cet outil nous est aussi indispensable et nous amène à des hypothèses, qui parfois seront validées par le choix d'un remède aboutissant à la guérison. Comme le cas de cette vache qui souffre d'une septicémie suite à une mammite, dont l'éleveuse me dit : « elle gémit comme si elle voulait qu'on reste près d'elle » et qui sera guérie par Pulsatilla.
Ou ce chien, Milk, dont la propriétaire de plus en plus émue lors de la consultation, finira par me dire : « si je lui disais de sauter du haut d'une falaise, il n'y a aucun doute qu'il le ferait ». Et qui sera guéri de sa maladie auto-immune par Lilium tigrinum dont on peut lire dans le répertoire de Loutan : « Toute parole ou principe devient règle par laquelle il veut prouver son amour ».
Observer nos animaux, les observer vraiment en essayant de les comprendre, nécessite de faire tomber un certain nombre de nos barrières psychologiques. Accepter l'idée que des animaux puissent apprendre, ressentir des émotions, des sentiments fût long et laborieux. La raison, cette arme si puissante pour construire, analyser ou produire, devient parfois un handicap pour voir, sentir, aimer. Pour travailler avec les animaux, nous devons laisser résonner en nous des sentiments, des impressions, sans limites ni barrières intellectuelles.
Raisonnons moins pour mieux résonner. En somme, pour aller au-delà de la pensée cartésienne, tout en rendant hommage à Descartes, on pourrait dire que l'empathie nous permet « d'être totalement dans le monde » et de percevoir pleinement, en somme : « je panse donc je suis ».